COMME NOUS LE DISIONS LA SEMAINE DERNIERE, LE BREXIT EST UN TRIPLE CHOC : ECONOMIQUE, FINANCIER ET POLITIQUE.
Toutes choses égales par ailleurs, comme le soulignent les économistes de Oddo Securities, le choc économique semble gérable et pas de nature à modifier sensiblement la trajectoire des économies de l’Union européenne.
Le choc politique est majeur : on se souviendra peut-être du 23 juin comme on se souvient du 11 septembre ou de la chute du mur de Berlin. Mais il est bien trop tôt pour évaluer les conséquences de la décision britannique, dont l’impact se fera sentir sur des années voire des décennies.
Dans l’immédiat, l’impact financier du Brexit reste notre principale préoccupation. Un tel choc met en évidence les maillons faibles de la chaîne financière. Dans le cas européen, les maillons faibles sont les banques et plus précisément, les banques italiennes. Depuis le 23 juin, le secteur bancaire de l’EuroStoxx 50 a baissé de 17% ; Unicredito a cédé pour sa part 28% et Banco Monte dei Paschi di Sienna (BMPS) 30%.
LES BANQUES EUROPÉENNES SONT FRAGILISÉES PAR LE BREXIT A PLUSIEURS TITRES.
Ce dernier, nous l’avons dit, constitue un choc négatif pour la croissance et l’inflation. De surcroît, dans un environnement incertain, les investisseurs se sont précipités pour acheter des emprunts d’état. Résultat, le rendement du Bund et de l’OAT 10 ans ont perdu près de 30 points de base, pour tomber à -0,18% et 0,14%. Par conséquent, la courbe des taux dans la zone euro s’est considérablement aplatie : l’écart entre les taux court terme et les taux long terme s’est réduit, ce qui n’est pas bon pour le compte de résultat des banques.
Rappelons que le métier des banques est d’emprunter à court terme et de prêter à long terme.
• Plus l’écart est grand entre les taux longs et les taux courts, mieux c’est pour le compte d’exploitation bancaire.
• Plus l’écart est faible (i.e. plus la courbe est plate), moins c’est bon.
LES BANQUES ITALIENNES SONT SPÉCIALEMENT AFFECTÉES CAR CE SONT LES PLUS FRAGILES.
La banque italienne est essentiellement une banque de détail qui se caractérise par des marges élevées qui viennent rémunérer des risques importants.
Ce modèle était tout à fait adapté à l’Italie d’avant l’euro. Abritée de la concurrence européenne, protégées par l’existence de la lire, les banques prêtaient généreusement aux entreprises de la péninsule. Certes, le modèle générait un taux de créances douteuses élevé, mais, en période d’inflation forte et de croissance soutenue du crédit, ce n’était pas un problème. En effet, avec une inflation de 4% à 5% par an, le poids des créances douteuses s’efface mécaniquement au fil des ans, surtout quand les bilans gonflent avec l’expansion économique.
En revanche, ce modèle est calamiteux dans l’environnement déflationniste que nous connaissons. L’activité stagne et l’inflation a disparu : les banques italiennes trainent comme un boulet le poids des créances douteuses (« soffirenze ») dans leurs bilans. Selon les estimations officielles, celles-ci se montent à 200Md€, dont 60% sont provisionnées. Le montant net des créances douteuses est donc de 80 Md€. Traditionnellement, ce provisionnement de 60% était jugée suffisant car le taux de récupération était de l’ordre de 40%. Mais en Italie, comme ailleurs, les traditions se perdent et les investisseurs européens estiment que le prix de cessions des créances douteuses est plutôt de l’ordre de 20%.
Dans ce cadre, les banques italiennes auraient donc besoin de provisionner encore 40 Md€. Mais si les banques devaient passer ces provisions, elles se retrouveraient en dessous des ratios de solvabilité exigés par le régulateur européen. Elles se verraient donc dans l’obligation d’augmenter leur capital de 40 Md€. Mais pour l’instant, elles n’ont pas ces 40 Md€.
Intervient alors Matteo Renzi, qui se dit prêt à injecter ces 40 Md€ dans les bilans bancaires avec l’argent de l’Etat italien. C’est là que les choses se compliquent. En effet, dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne, l’Etat ne peut intervenir dans la recapitalisation d’une banque que dans le cadre d’une procédure de liquidation-résolution.
Celle-ci impose tout d’abord de faire subir aux actionnaires et aux porteurs d’obligations subordonnées une partie des pertes de la banque. A priori, c’est une excellente idée, car cela évite au contribuable de voler aux secours des banques imprudentes. Mais dans le cas italien, cette procédure serait catastrophique car les obligations subordonnées bancaires italiennes sont essentiellement détenues par les ménages pour lesquels elles représentent une part importante de leur épargne.
Si Matteo Renzi décidait de recapitaliser les banques italiennes en se conformant au modèle européen, cela affecterait 6% des ménages italiens, selon une estimation de la banque d’Italie, recueillie par les économistes de Oddo Securities. Impensable, surtout au moment où Matteo Renzi s’apprête à lancer un référendum en octobre sur la réforme constitutionnelle. Obliger l’Italie à suivre à la lettre les prescriptions européennes, revient dans le contexte actuel à offrir sur un plateau le pouvoir aux populistes anti-européens du mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. Il y a sans doute des choses plus efficaces à faire. Bien que les Européens nous aient montré ces dernières années qu’ils sont passés maîtres dans l’art de se tirer une balle dans le pied, ils ont aussi des moments de lucidité.
A l’heure où nous écrivons, il semblerait qu’un compromis se dessine entre Bruxelles, Berlin et Rome pour recapitaliser les banques italiennes en suivant, si ce n’est la lettre, du moins l’esprit du cadre réglementaire européen. C’est pourquoi, il nous semble que le scénario qui verrait le problème des « soffirenze » déboucher sur une crise systémique bancaire européenne nous semble bien peu probable.
SI TEL ÉTAIT LE CAS, LE PAYSAGE FINANCIER EUROPÉEN ÉCLAIRCIRAIT NETTEMENT.
La descente aux enfers des banques européennes connaîtrait probablement un répit. Compte tenu des incertitudes économiques ambiantes, il est bien trop tôt pour dire si ce répit est définitif ou temporaire. Une chose nous paraît sûre : un accord sur la recapitalisation des banques italiennes donnerait un bol d’oxygène aux marchés européens et limiterait de façon marquée le risque d’assister à l’émergence d’un nouvel avatar de la crise européenne.
Rédigé le 8 juillet 2016 par les Experts Oddo & Cie.
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