Vive la dette !

Parmi les débats récurrents qui ont agité les marchés financiers et les conseils des ministres ces dernières années, il y a la question de la dette publique.
Les critères de Maastricht, forgés dans les années 1990, évoquaient un niveau maximal de ratio Dette/PIB de 60 %.
A l’époque, la plupart des pays développés respectaient ce ratio. On se souvient des contorsions des gouvernements Juppé et Jospin pour que la France respecte cette barrière fatidique. Vingt ans après, nous regardons tout cela d’un autre œil.
Le ratio Dette/PIB standard est maintenant de l’ordre de 90 % à 110 % (Royaume-Uni, Canada, France, Etats-Unis) sans parler du Japon, champion toutes catégories de la dette publique, avec un ratio Dette/PIB de … 240 % !
Au sein du G7, seule l’Allemagne fait figure de bon élève, avec son ratio de 70 %. Remarquons cependant que nos voisins d’outre-Rhin ne respectent pas le critère maastrichtien et que tout le monde (à part quelques irréductibles du parti libéral FDP et de la Bundesbank) s’accorde à dire que la politique d’austérité allemande des années 2010 a été une catastrophe majeure pour le reste de l’Europe.

On peut se demander comment on est passé du fétiche de 60 % à cette presque indifférence au niveau de la dette. D’abord la crise de 2007 est passée par là ; ensuite, on a vu que l’on pouvait très bien vivre avec plus de dette. L’exemple du Japon est d’ailleurs très instructif : cela fait des années que le Japon vit avec une dette astronomique, et il n’a pas l’air de s’en porter plus mal. Et surtout, nous sommes dans une ère de taux d’intérêt négatifs ou presque nuls. En fait, nous sommes dans un environnement où la monnaie et les titres publics sont à peu près substituables. Pour bien comprendre cela, il faut envisager la monnaie comme de la dette perpétuelle émise par l’Etat avec un coupon 0 %. La monnaie est émise par la Banque centrale, le titre public est émis par le Trésor, mais in fine, c’est bien l’Etat qui est à l’origine de ces deux instruments financiers.

A partir de là, on peut voir les opérations de Quantitative Easing (QE) de manière différente. Que fait une banque centrale lorsqu’elle se livre au QE ? Elle achète des emprunts d’Etat (EE) aux banques, en échange de réserves sur lesquelles elle paye aussi un intérêt. Du point de vue de l’Etat, le QE se traduit par une modification de la maturité de sa dette, mais pas de sa nature. Les réserves des banques auprès de la Banque centrale ne sont qu’une catégorie particulière du passif de l’Etat. Elles sont perpétuelles et immédiatement remboursables : elles sont donc de la monnaie, comme le signale un article de « The Economist » sur le sujet.

On peut encore pousser plus loin le raisonnement. Dans un monde où le taux d’intérêt r est inférieur au taux de croissance nominal g , le gouvernement peut emprunter (émettre de la dette) pour payer les intérêts sur la dette existante. En effet, la nouvelle dette croit au taux r, inférieur à g. Dans de telles conditions, le ratio Dette/PIB décroit et plus vite encore que si l’Etat s’était comporté de façon orthodoxe !
Dans cette optique, l’émission de dette ne coûte pas à l’Etat, elle lui rapporte. On retrouve là un autre point commun avec la monnaie, avec la notion de seigneuriage. Ce mot désigne ce que l’Etat gagne à émettre de la monnaie, c’est l’écart entre le taux d’intérêt (0 % pour la monnaie) et l’inflation.

Vive la dette, donc. Nous émettrons toutefois deux réserves. Notre développement présuppose qu’un Etat s’endette dans sa propre devise. Dans le cas de la France (ou de n’importe quel autre pays de la zone Euro), monnaie et titres ne sont pas substituables car la France, à la différence du Japon ou des Etats-Unis, n’a pas les moyens d’imprimer de l’euro ; ce pouvoir est dans les mains de la Banque centrale européenne (BCE). Comme l’ont appris à leurs dépens entre 2010 et 2012 l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, le financement de la dette peut devenir du jour au lendemain très problématique.

Surtout, dette et monnaie peuvent être substituables tant que les taux d’intérêt restent bas, c’est-à-dire tant que l’inflation, plus précisément les anticipations d’inflation, restent faibles. Mais si les anticipations d’inflation commencent à remonter, les taux d’intérêt remonteront aussi ; la dynamique de soutenabilité de la dette peut brusquement s’inverser, et les investisseurs décideront très probablement de fuir les emprunts d’Etat.
Pas grave, me direz-vous, tant que la Banque centrale est là pour acheter. Eh bien, non. Car si la Banque centrale finance l’émission de la dette publique, cela renforcera les anticipations d’inflation, et le pays à l’origine de cette décision risque de voir sa monnaie se déprécier fortement, ce qui n’est jamais très bon à moyen terme.

A l’époque où Bernanke conduisait la Fed celle-ci a lancé sa première politique de QE. De nombreux critiques s’étaient élevés contre une telle politique qui porterait en elle les germes d’une inflation massive. Bernanke avait vu juste et ses détracteurs se sont lourdement trompés. Ils n’avaient sans doute pas évalué à sa juste mesure l’ampleur du choc déflationniste que représentait la crise financière. Et on revient toujours à la même question : quid de l’inflation ?

 

Hugues de Montvalon
Responsable de la Recherche
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 3 novembre 2017

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  • Hugues de Montvalon, auteur de cet article, appartient à l’équipe d’experts des marchés financiers de ODDO BHF Banque Privée.
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