Dans le triangle de Rodrik

Selon l’économiste Dani Rodrik, il est impossible de concilier dans une économie hypermondialisée, souveraineté nationale et régime démocratique. Ce concept nous permet de regarder l’actualité fiscale sous un autre angle.

 

Les métiers de la banque et de la finance seront très certainement profondément remodelés dans les années qui viennent par l’irruption des nouvelles technologies.

L’auteur de ces lignes sera peut-être un jour remplacé (« Encore un moment, monsieur le Bourreau… ») par un robot dont l’intelligence et le style, bien qu’artificiels, seront nettement supérieures à la sienne.

  • En revanche, s’il y a bien un métier dont on peut être sûr qu’il existera encore dans 10, 20, 30 ans, c’est celui d’ingénieur patrimonial. A ce titre, nous ne saurions d’ailleurs trop vous recommander de faire appel à l’excellente équipe d’ingénieurs patrimoniaux de ODDO-BHF, si vous en avez le besoin.
  • En effet, la fiscalité étant ce qu’elle est, il y a peu de chance qu’une intelligence artificielle, aussi puissante soit-elle, puisse venir à bout de toutes les subtilités qu’engendrent l’esprit humain dans ce domaine. C’est particulièrement vrai en France. Notre pays est le champion du monde pour taxer une activité, puis mettre en place une mesure dérogatoire qui gommera les effets par trop négatifs de la taxe initiale, comme ce fut le cas avec le CICE.

 

Ces réflexions nous viennent en même temps que l’on parle dans les journaux des « Paradise Papers » et de la réforme fiscale américaine.

Nous ne sommes pas experts en matière de fiscalité, il y a ce que permet la loi, il y a ce qu’il n’est pas permis, et entre-deux sujet à interprétation. Chacun pensera ce qu’il veut, mais jeter des noms en pâture n’est sans doute pas le meilleur moyen de réfléchir efficacement à la question.

  • Car il y a matière à réflexion, c’est une évidence. Encore une fois, c’est un sujet extrêmement complexe, que nous maîtrisons mal.
  • Toutefois, il n’a échappé à personne que nombre de grands groupes internationaux optimisaient leur fiscalité pour finalement payer un impôt assez faible. C’est très bien pour les actionnaires, mais ce n’est pas forcément optimal d’un point de vue macro-économique.

 

Martin Wolf, l’éditorialiste du Financial Times, prend l’exemple de Apple.

Le total des actifs de cette société s’élève à $375 Mds, dont tout juste $34 Mds de capital fixe.

  • La valeur des participations à long terme d’Apple représente six fois celle de son stock de capital.
  • Et son revenu net est de 40% supérieur à son stock de capital.

Comme le dit Martin Wolf :

« De façon évidente, cette société n’a pas les moyens d’investir de façon profitable les profits qu’elle tire de son activité. Apple est désormais un fonds d’investissement auquel est attachée une société d’innovation, et devient par la même un trou noir de la demande finale. »

 

Ce dernier point est important et c’est lui qui fait débat.

Est-il optimal qu’une part importante de l’épargne soit concentrée de cette manière ? Si comme le sous-entend Martin Wolf, la réponse est négative, on voit tout de suite qu’il est vraiment urgent de baisser le taux d’imposition des sociétés.

La réponse à cette question est aussi éminemment politique, c’est pourquoi il est difficile d’y répondre. L’économiste Dani Rodrik nous offre une autre manière de réfléchir à la question avec son trilemme d’impossibilité. Cette notion fait référence au fameux trilemme de Mundell.

 

Dans les années 60, l’économiste canadien Robert Mundell avait mis en évidence qu’un pays ne pouvait pas atteindre simultanément les trois objectifs suivants, bien résumés par Wikipédia :

  • avoir un régime de change fixe ;
  • disposer d’une politique monétaire autonome, c’est-à-dire fixer les taux d’intérêt à court terme ;
  • et avoir une parfaite liberté de circulation des capitaux.

 

De façon similaire, selon Dani Rodrik, un pays ne peut simultanément faire partie d’une économie hyperglobalisée, être une démocratie et garder sa souveraineté nationale.

Pour Rodrik, l’Union européenne est une tentative de concilier les trois à la fois.

  • Mais être dans l’Union suppose d’abandonner une partie de sa souveraineté. Et c’était l’un des arguments des Brexiters les plus sérieux. A leurs yeux, le défaut principal de l’appartenance à l’UE était le transfert d’une partie de la souveraineté à des autorités dépourvues de toute légitimité démocratique, à savoir la Commission européenne et la Cour de justice européenne.
  • Rodrik nous dit qu’il faut choisir deux des pôles du triangle d’impossibilité, pour obtenir une solution stable. Sa préférence va à la démocratie et la souveraineté nationale, ce qui était le modèle de Bretton Woods. A cette époque – de l’après-guerre aux années 80 – les échanges étaient libres mais avec plus de frontières, de contrôle, ce qui permettait à chaque pays de conserver une certaine souveraineté, notamment sur le pan fiscal.

 

Dans le cas américain, qu’est ce qui empêche Alphabet (la maison mère de Google), Apple ou autres d’optimiser leur fiscalité en faisant transiter leurs bénéfices par des pays à la fiscalité accueillante ?

Pas grand-chose. Dans un monde hypermondialisé, les capitaux sont libres et il est difficile d’empêcher les pays de se livrer à une concurrence fiscale féroce. On le voit bien en Europe avec le cas de l’Irlande et des Pays-Bas.

  • Le modèle de Rodrik est davantage une intuition qu’un modèle formalisé.
  • A ce titre, il est critiquable sur bien des points. Mais il nous aide à conceptualiser ce mouvement populiste qui secoue nos démocraties. On peut penser ce qu’on veut de Donald Trump, mais à nos yeux, il est dans son genre un début de réponse au triangle d’impossibilité de Rodrik.

Une réponse bizarre, incohérente, brouillonne mais une tentative de réponse quand même, tout comme le Brexit.

 

 

Hugues de Montvalon
Responsable de la Recherche
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 17 novembre 2017

ODDO BHF Banque Privée

  • Hugues de Montvalon, auteur de cet article, appartient à l’équipe d’experts des marchés financiers de ODDO BHF Banque Privée.
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