… sur les revenus du patrimoine… la confusion dans la clarté !
Dans le prolongement de l’examen et du vote en première lecture du projet de loi de finances pour 2018, dont l’une des mesures phares est l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital (au taux de 30 %), l’Assemblée a adopté le 31 octobre dernier le Projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2018 (PLFSS).
Ce dernier prévoit, conformément aux annonces présidentielles et gouvernementales, un relèvement de la CSG de 1,7 point qui porterait le taux des prélèvements sociaux sur les revenus du capital de 15,5 % à 17,2 %.
Bien que ce point ait sans doute échappé au plus grand nombre, se fiant au principe annoncé de mise en œuvre de la réforme en 2018, un certain flou régnait, après le dépôt initial du texte, quant à la date d’entrée en vigueur du nouveau taux de CSG, notamment pour les plus-values de cessions réalisées au cours de l’année 2017. Une divergence existait entre le texte de l’article 7 du PLFSS et l’exposé des motifs. Le projet de texte réservait l’application de la hausse aux faits générateurs intervenant à compter du 1er janvier 2018 quand le commentaire l’accompagnant considérait l’exigibilité du prélèvement. Or, les revenus patrimoniaux sont imposés pour certains par voie de prélèvement et pour les autres par voie de rôle (recouvrement de l’impôt l’année suivant celle de la réalisation du revenu, au vu de la déclaration des revenus réalisée cette même année).
Profitant de la confusion un amendement gouvernemental au texte du projet est venu « clarifier » ce point en précisant que l’augmentation s’appliquerait :
– à compter du 1er janvier 2018 pour les revenus de placement : il s’agit en particulier des dividendes, des produits de placements à revenus fixes et produits des rachats opérés sur des contrats d’assurance vie ou de capitalisation, des plus-values immobilières ;
– à compter du 1er janvier 2017 pour les revenus du patrimoine : cela concerne, notamment, les plus-values mobilières, les revenus fonciers et les revenus de location meublée.
S’agissant des revenus du patrimoine, dont l’imposition est recouvrée par voie de rôle, le gouvernement use donc une nouvelle fois, et cela devient presque une règle en matière fiscale, de la rétroactivité ou plutôt de la « petite rétroactivité fiscale », construction jurisprudentielle dont la sémantique relèverait presque de la litote.
La « petite rétroactivité » est un usage fiscal parfaitement licite (sauf dans des cas particuliers ayant fait l’objet d’une sanction par le Conseil constitutionnel) qui découle du principe selon lequel, en matière d’impôt sur le revenu, les règles de calcul de l’impôt sont celles qui sont en vigueur au 1er janvier de l’année qui suit celle des faits générateurs (en règle générale cela correspond à l’année de perception des revenus). Il est ainsi admis qu’une loi de finances puisse modifier les règles fiscales applicables aux revenus perçus au cours de l’année civile écoulée sans pour autant être considérée comme étant rétroactive à proprement parler. La nouvelle règle s’appliquant au calcul d’impositions à venir et les revenus n’ayant pas encore été déclarés, elle ne remet pas en cause une situation légalement acquise.
Pratique parfaitement constitutionnelle soit, mais source d’insécurité juridique et d’atteinte à la confiance légitime des contribuables tant les modifications votées de nos jours sont loin d’être de simples ajustements, on se souviendra de la Contribution Exceptionnelle Sur les Hauts Revenus. Nos législateurs ont depuis longtemps oublié l’un des principes de notre droit, celui que Portalis, un des pères du Code civil, rappelait : « l’office des lois est de régler l’avenir ; le passé n’est plus en leur pouvoir ».
En supposant que le législateur, persistant dans son « vibrionnisme » fiscal, décide d’augmenter l’année prochaine le taux du prélèvement forfaitaire unique (12,8 %), le taux de 30 % mis en exergue depuis des mois par nos gouvernants pourrait ne jamais être appliqué ! Un régime fiscal mort-né qui ne serait pas une première dans notre histoire fiscale récente (ex : le premier régime d’abattements applicables aux plus-values sur actions).
Une autre mesure contenue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui a trait au champ d’application des prélèvements sociaux, témoigne des atermoiements du législateur quant au traitement fiscal qu’il accorde dans le temps à un même revenu ou gain.
Le projet initial entendait supprimer le mécanisme dit des « taux historiques » pour les PEA et pour certaines formules d’épargne salariale (PEE, PERCO, PEL…) qui consiste à appliquer aux gains réalisés, en cas de retrait ou de clôture, les taux de prélèvements sociaux qui étaient en vigueur l’année au cours de laquelle les revenus et plus-values correspondants avaient été réalisés.
Devant l’opposition à laquelle il a dû faire face, et afin d’éviter le risque d’inconstitutionnalité d’une telle rétroactivité (contrairement au cas explicité précédemment, il ne s’agissait pas d’une « petite rétroactivité »), le gouvernement avait d’abord annoncé vouloir revenir purement et simplement sur son projet. Mais, « chassez le naturel, il revient au galop », il a finalement adopté une position contrastée en revenant partiellement, par voie d’amendement, sur son intention originelle :
– il a mis fin au mécanisme des taux historiques pour les gains acquis ou constatés à compter du 1erjanvier 2018 (pour lesquels le taux de prélèvements sera celui en vigueur lors de la réalisation du fait générateur conduisant à l’imposition de ces produits) ;
– en revanche, il a consolidé le maintien dudit mécanisme pour les gains acquis ou constatés avant le 1er janvier 2018….tout en ouvrant une « fenêtre » d’application supplémentaire : les taux historiques seraient également maintenus pour les produits des PEA acquis ou constatés au cours des cinq premières années suivant l’ouverture du plan, à condition que cette ouverture ait lieu avant le 1er janvier 2018.
Bel exemple d’empilement des régimes fiscaux et sociaux applicables dans le temps, et nouveau casse-tête à venir pour les établissements teneurs de compte comme pour leurs clients.
Qu’en déduire en l’état actuel du texte : plus question, comme certains avaient pu le préconiser, de procéder à un retrait ou à la clôture d’un PEA avant la fin de l’année pour « figer » les taux historiques, ce qui était déjà en soi un mauvais calcul. En revanche, les personnes n’ayant pas de PEA ou de PEA PME-ETI pourraient opportunément prendre date avant la fin de l’année pour anticiper une hausse future des prélèvements sociaux et bénéficier de l’unicité de taux applicable, soit 17,2 % à compter du 1er janvier 2018, pour les gains réalisés les cinq années suivant l’ouverture du plan.
Les projets de textes actuels sont, sur certains points, une nouvelle fois susceptibles de pousser les acteurs économiques à mettre en œuvre du pilotage fiscal court-termiste et contre-productif. Le diable se cache dans les détails et se complait décidemment dans la complexité. Notre gouvernement, pétri de bonnes intentions (et il y en a dans les projets de lois en cours), avait annoncé une réforme ambitieuse, sensée redonner de l’appétence à investir et de la lisibilité aux contribuables. Mais les vieux démons technocratiques et budgétaires ont la vie dure.
David Tavernier
Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 15 novembre 2017
ODDO BHF Banque Privée
- David Tavernier, auteur de cet article, appartient à l’équipe d’experts de ODDO BHF Banque Privée.
- Depuis plus d’un siècle, nous accompagnons nos clients sur l’ensemble de leurs problématiques patrimoniales et entrepreneuriales.
- En tant que client, vous êtes accompagné par un banquier privé qui coordonne les experts internes (conseillers financiers, juristes, fiscalistes…) et externes au Groupe, afin de trouver des solutions de structuration patrimoniale et d’investissements adaptées à vos besoins.
=> Découvrir les expertises de ODDO BHF Banque Privée
=> Contactez-nous