La fin de mai 68

Nous vivons une époque très intéressante car nous voyons des changements profonds se dessiner sous nos yeux.

Nous avons appris au cours de notre formation universitaire et professionnelle que dans le cadre de marchés efficients, avec des individus dotés d’anticipations rationnelles, la maximisation de l’utilité du consommateur individuel débouche sur un optimum collectif. Bon, cette phrase sonne d’un jargon barbare, il faut bien le reconnaître. Elle signifie avant tout que, dans une économie de marché, chacun est fondé à chercher son propre bonheur individuel (maximiser son utilité) pour le plus grand bien de la communauté. Paradoxalement, on peut dire avec une certaine ironie que « maximiser son utilité individuelle » est la transcription en termes économiques du slogan de mai 68 : « jouir sans entraves ».

Au moment où l’on célèbre les 50 ans de cette « révolution introuvable », selon les mots de Raymond Aron, il est intéressant de remarquer que l’idéologie libertarienne de 68 a des résonances très profondes dans le paradigme sur lequel nous avons construit notre économie. A quoi s’opposait 68 ? Au gaullisme et à l’autorité. Mais le gaullisme et l’autorité, c’est aussi le Commissariat au Plan, la centralisation, la valorisation des champions nationaux (la CGE d’Ambroise Roux), et l’aménagement du territoire, avec les créations des villes nouvelles (Cergy-Pontoise) et des stations balnéaires du littoral languedocien (la grande Motte). Pour le Général de Gaulle, la politique ne se faisait pas à la corbeille, c’est-à-dire sur les marchés, mais bien à l’Elysée. L’esprit de 68 s’accommode très bien et même favorise l’émergence de l’économie de marché fondée sur la suprématie du consommateur, sur la recherche de la satisfaction personnelle.

Aujourd’hui, le paradigme de l’utilité individuelle a du plomb dans l’aile.

La crise financière a mis à mal le concept d’efficience des marchés. La montée des inégalités remet fortement en question le postulat d’une économie de marché qui profite à tous, notamment dans les pays occidentaux, aux États-Unis en particulier. On redécouvre l’hétérogénéité sociale, économique et géographique. Comme le dit la sociologue Dominique Schnapper, nous sommes dans un monde où si l’individu a de plus en plus de droits, c’est au détriment du citoyen, qui contrôle de moins en moins son destin. C’est pourquoi les slogans nationalistes de Trump « America First », du UKIP britannique « reprendre le contrôle » font mouche. Cela dit, une chose est de dénoncer les échecs d’un système, une autre est de proposer un modèle alternatif. Fermer les frontières, augmenter les dépenses militaires, baisser les impôts ne constitue pas une alternative soutenable à moyen terme. Mais il faut bien avouer que le camp libéral n’a pas beaucoup de solutions à offrir. Du côté américain, on entend beaucoup Trump ; en revanche les démocrates, à part de bons sentiments, n’ont pas grand-chose à offrir.

Nous quittons donc un monde pour entrer dans un autre, dont nous ne connaissons pas trop le visage, du moins ce que nous en voyons n’est pas forcément encourageant. Cette transition est génératrice d’incertitudes et de volatilité. C’est ainsi que nous interprétons la correction qui est intervenue cette semaine sur l’ensemble des bourses mondiales.

A l’heure où nous écrivons, les indices européens et américains ont perdu autour de 4% sur la semaine ; le CAC 40 est revenu sur ses points bas de février dernier, soit une baisse de 4% par rapport au début de l’année. Il y a un mois, la hausse des taux semait le trouble ; aujourd’hui, c’est la guerre douanière entre les États-Unis et la Chine qui fait peur. Comme nous le disions dans une précédente chronique, l’environnement actuel ne justifie pas une correction sévère des marchés. Une baisse de 7%, cela reste dans les limites de la volatilité habituelle des indices. Mais il faut bien le dire, nous entrons dans une période pénible, où la croissance reste forte mais n’accélère pas, mais où les primes de risques sont faibles dans un environnement qui se trouble, conséquence logique de l’avènement d’un monde à venir dont nous ignorons les contours. 


Hugues de Montvalon
Responsable de la Recherche
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 23 mars 2018

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