« Europe ébranlée, Europe critiquée, Europe inachevée » par Bruno Cavalier

Parce que Ladies bank s’interroge aussi sur le Brexit, Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo & Cie vous partage son expertise et son analyse des résultats du référendum britannique.

Les citoyens du Royaume-Uni ont voté pour que leur pays se retire de l’Union européenne. Cela met fin à 43 ans d’une participation marquée par la suspicion vis-à-vis de toute intégration allant au-delà de la simple ouverture des marchés de biens et de services. Le divorce sera long, acrimonieux et vraisemblablement coûteux pour les deux parties. Le Brexit va stimuler le sentiment eurosceptique déjà vif ailleurs sur le continent. Il nous paraît cependant très improbable qu’un référendum similaire soit organisé à horizon visible dans les pays liés par l’euro. Ce vote montre qu’une UE déconnectée des préoccupations des citoyens (c’est actuellement l’immigration) sera toujours le bouc-émissaire pour des problèmes où les gouvernements nationaux ont en réalité une large part de responsabilité.

Les partisans du Brexit ont remporté la victoire avec une avance de ≈4 points. Les thèmes de la souveraineté et de l’immigration ont donc prévalu sur ceux touchant à l’économie. Ce résultat entraîne une série de chocs d’incertitude au Royaume-Uni. Au plan politique, la position du Premier ministre David Cameron se trouve affaiblie, le parti conservateur est divisé, de nouvelles élections générales ou une crise sur la question écossaise sont possibles à court terme. Au plan institutionnel, il faut lancer la procédure de retrait de l’Union (article 50) qui peut durer au moins deux ans. En parallèle devra être négocié un nouveau régime fixant les relations commerciales entre le Royaume-Uni et le reste de l’UE. L’enjeu porte sur les conditions d’accès au marché unique, et en particulier sur le maintien du passeport financier qui est la clé pour l’avenir de la City (qui a une forte contribution à la croissance britannique). Au plan économique, il faut attendre sans tarder une baisse du climat des affaires et une chute des investissements étrangers, ce qui risque de provoquer une récession au second semestre. Au plan financier, la réaction immédiate est une chute de la livre, qui va entraîner un renchérissement des importations et rogner le pouvoir d’achat. La Banque d’Angleterre doit être dans le plus grand embarras.

Pour les autres pays européens, particulièrement ceux de la zone euro, la priorité sera d’afficher la plus grande unité afin de limiter l’onde de choc sur les opinions publiques et de prévenir un mouvement centrifuge qui amènerait à la désintégration de l’UE. Presque partout sur le continent, les mouvements et les partis politiques eurosceptiques ont le vent en poupe et vont trouver dans le vote britannique un surcroît de virulence jusqu’à pousser, dans certains cas, à un retour aux monnaies nationales. En Allemagne, l’euro est vu par beaucoup comme une porte d’entrée vers des transferts budgétaires au profit de la périphérie et la BCE est critiquée pour sa politique de spoliation des épargnants. En Italie, à l’inverse, l’euro est jugé trop « germanisé ». Le Front National en France et le PVV aux Pays-Bas mêlent sans complexe les questions monétaires et migratoires. Si un divorce s’annonce difficile au Royaume-Uni, il va sans dire qu’il serait incomparablement plus complexe de défaire l’union monétaire. Cela n’arrivera pas. Le risque d’avoir des référendums sur l’Europe à court terme nous paraît extrêmement faible. Aucun chef d’État ou de gouvernement censé n’aura envie de jouer son destin à la Cameron.

Avant les élections françaises et allemandes de 2017, il est à l’inverse peu probable que l’intégration de la zone euro puisse être vraiment approfondie. Presque tout le monde admet néanmoins qu’une union monétaire sans un mécanisme de solidarité budgétaire entre États, au moins sur des domaines d’intervention bien ciblés (par exemple l’assurance-chômage), restera toujours incomplète et fragile.

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