Il n’est pas un jour sans qu’un article ou une tribune ne nous mette en garde contre les dangers que répresentent la montée de la dette
C’est un phénomène mondial, nous avertit la Banque des Règlements Internationaux (BRI), dans son rapport trimestriel, qui concerne aussi bien les pays émergents que les économies développées.
• Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à la fin de 2015, le total de la dette (souveraine + privée) représentait 135 000 milliards de dollars, soit 250 % du PIB mondial (contre moins de 200 % en 2007 avant la crise financière).
• Assénés tels quels, ces chiffres font peur, et on comprend les Cassandre qui nous annoncent l’imminence d’une crise financière.
Il faut toutefois savoir prendre un peu de recul par rapport à ce tableau bien sombre
La montée de la dette témoigne également du développement et de la sophistication croissante de l’économie mondiale.
• Le niveau de la dette au Mozambique et en Corée du Nord ne représente pas grand-chose, en absolu ou en relatif. Cela ne veut pas dire pour autant que ces économies sont en bonne santé.
• Inversement, l’Etat où les chiffres de dette sont les plus vertigineux (400 % du PIB !) est Singapour. Ces chiffres expriment simplement la montée des services financiers dans l’économie de la cité-Etat.
Il faut donc être plus précis quand on s’alarme du niveau de la dette suivant les situations respectives de chaque pays. Comme nous l’avons souvent dit, dans un système d’économie de marché, annoncer une crise financière n’engage pas à grand-chose. C’est comme annoncer que la pluie arrivera après le beau temps : ce n’est pas cette annonce qui a de la valeur, c’est son calendrier.
La nature de la dette est également importante
Combien de fois s’est-on alarmé sur la montée de la dette publique dans les économies développées !
• Il y a une quinzaine d’années, nous nous inquiétions déjà de l’accumulation des déficits japonais et de la trajectoire – que nous jugions insoutenable – de la dette publique nippone. Entre temps, le ratio dette / PIB japonais est passé de 140 % du PIB à 240 % (+100 points de PIB !) et visiblement les choses ne vont pas en s’améliorant.
• Pour autant, le Japon continue de tourner, plutôt bien même. Certes, la croissance est faible et la déflation continue de sévir. Mais les Japonais jouissent d’un niveau de vie très élevé et semblent épargnés par les fléaux qui touchent de nombreuses sociétés (violence, drogue, inégalités, chômage…). Il n’y a pas débat : mieux vaut être Japonais avec 0 % de croissance que Chinois avec 10 % !
Dans le cas de la dette publique, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en période de déflation, monnaie et titres publics sont très largement substituables
En effet, qu’est-ce que de la monnaie, si ce n’est une créance sur l’Etat ? De surcroît, en déflation, la monnaie offre un rendement réel (quelquefois supérieur à celui des titres publics, comme on peut le voir au Japon).
En situation de déflation, s’alarmer sur l’abondance d’émission de titres publics revient à s’inquiéter sur l’émission excessive de monnaie. D’ailleurs, avec les opérations de Quantitative Easing, les émissions sont achetées par la Banque Centrale, par conséquent financées par de la monnaie.
Il n’y a donc pas à s’inquiéter sur la capacité du Japon ou des Etats-Unis à rembourser leurs emprunts publics : ils peuvent toujours émettre qui des yens, qui des dollars, pour rembourser ces titres.
Les problèmes surviennent quand l’inflation pointe le bout de son nez, car, à ce moment-là, il peut y avoir une fuite devant la monnaie et par contagion une crise de la dette. Mais à ce que l’on sache, l’inflation n’est pas au menu du jour, et c’est bien le problème, notamment au Japon.
La situation se complique quand l’emprunteur ne peut pas émettre la monnaie dans laquelle il a emprunté
C’est le cas des pays qui émettent dans une monnaie tierce.
• On pense tout de suite au Mexique et à l’Argentine qui avaient emprunté en dollars dans les années 80 et 90 et qui ont été obligés de faire défaut car ils n’avaient pas les dollars pour faire face à leurs obligations.
• La Grèce a également été dans cette situation en 2011…
• … Et c’est le problème de la zone Euro : les pays ne sont pas endettés dans une monnaie dont ils contrôlent l’émission.
Actuellement tout se passe bien parce que la BCE a dit qu’elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que ça se passe bien, et tant mieux. Mais rien ne garantit que cet engagement perdure. Une chose est sûre : aucun pays de la zone Euro n’a la capacité qu’ont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon ou d’autres, à rembourser leurs titres dans une monnaie dont ils contrôlent l’émission. Mais c’est un problème davantage politique qu’économique.
Il n’y a pas que les pays de la zone euro qui sont dans cette situation; il y aussi tous les émetteurs privés, qui, par définition, n’émettent pas de monnaie
Il est temps maintenant de faire un peu de finance… La dette est un passif qui finance un actif.
• Tant que le passif et l’actif s’équilibrent, tout va bien. Une société qui s’endette pour investir dans des projets rentables n’a pas de problèmes : les flux de trésorerie gonflent l’actif du bilan, ce qui permet soit d’accumuler des résultats, soit de rembourser la dette, et c’est le bonheur.
• En revanche, quand l’actif et le passif se déséquilibrent, alors là, la situation devient plus tendue.
Prenons le cas des sociétés d’exploration pétrolières américaines, dans le secteur du pétrole de schiste.
• Quand le pétrole valait 100 $ le baril, tout le monde se précipitait pour leur prêter. Avec ces fonds, ces sociétés ont acheté des actifs, des champs pétrolifères, pour une certaine valeur.
• Quand le baril WTI est retombé à 30 $, la valeur de ces actifs n’a peut-être pas été divisée par 3, mais au moins par 2. En revanche, le passif, lui n’a pas bougé : la valeur de la dette exigible est restée la même.
• Cette rupture soudaine entre la valeur du passif et de l’actif des sociétés pétrolières a été une des sources importantes de la volatilité observée sur les marchés financiers durant l’automne et l’hiver dernier.
En un mot comme en cent, le problème de la dette est qu’elle fragilise les bilans
Le plus grave survient quand les bilans des institutions financières sont touchés, car c’est tout le circuit financier qui est alors paralysé.
C’est ce qui s’est passé en 2008, lors de la grande crise financière. C’est pour éviter que de tels accidents ne se reproduisent que les autorités ont mis en place toute une série de régulations pour encadrer les bilans des sociétés financières.
Notons au passage la schizophrénie de la zone Euro. Tandis que la Banque Centrale fait le maximum (QE, LTRO, MCE et autres acronymes) pour faciliter le crédit bancaire, le régulateur multiplie les exigences et les contrôles (là aussi la création d’acronymes bat son plein : CRD IV, TLAC, CT1…), ce qui n’est pas exactement une manière d’encourager le crédit.
A en croire le BRI, le point le plus problématique concerne l’émission de dettes en devises (essentiellement en dollars US mais aussi en euro) par les entreprises des pays émergents
• Leur encours a doublé depuis 2009 pour atteindre 3 300 milliards de dollars.
• Ces entreprises voient leurs bilans doublement fragilisés : d’une part, à cause de l’accumulation de la dette ; d’autre part, parce que cette dette est en devise.
• Elles sont donc sensibles à deux types de chocs. Un choc d’ordre économique comme un fort ralentissement de leur secteur d’activité ; un choc financier : forte appréciation du dollar ou de l’euro par rapport à la monnaie dans laquelle elles exercent leur activité.
Nous ne savons pas dans le détail dans quelles branches opèrent ces entreprises, mais nous savons qu’elles sont, pour nombre d’entre elles, chinoises
Eh oui, on en revient toujours à la Chine, où se concentre l’essentiel des risques économiques et financiers mondiaux.
• La dévaluation surprise de 4 % du yuan en août 2015 a pris bon nombre d’entreprises chinoises à revers.
• Elles ont été amenées à racheter massivement du dollar (et donc à vendre du yuan) pour couvrir leurs dettes en dollars. Une faible dépréciation du yuan a suffi à secouer les marchés mondiaux.
C’est pourquoi nous considérons qu’une dévaluation incontrôlée du yuan reste aujourd’hui le risque économique principal auquel sont confrontés les gestionnaires de portefeuille. C’est un risque difficile à quantifier, comme souvent en ce qui concerne les devises. Il n’est pas nul ; il n’est pas inéluctable non plus. C’est une épée de Damoclès avec laquelle il faut apprendre à vivre.
Rédigé le 18 mars 2016.
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