Chronique des marchés : « La Fed à la manoeuvre »

Le 15 juin prochain, la Réserve Fédérale Américaine se réunira pour décider de l’orientation à donner à sa politique monétaire.

Les décisions de la Fed ont des répercussions sur l’ensemble de l’économie mondiale, que ce soit par le canal financier (taux de change, actions, obligations…) ou par le canal réel (impact de la demande américaine sur le reste du monde). On comprend donc que les décisions du Comité Fédéral de l’Open Market (FOMC soient suivies attentivement sur toutes les places financières mondiales).

Depuis quelques années, la FED a pris l’habitude de communiquer ses prévisions sur le niveau de son taux de référence, les « Fed-Funds », au moyen de graphiques où figurent un ensemble de points pour l’année calendaire en cours, les deux années suivantes et le long terme (les « dot charts »). Chaque point représente pour l’échéance donnée, la prévision d’un membre du FOMC sur le niveau des fed-funds à la fin de la période concernée.

En Décembre dernier, la FED a mis fin à une longue période de taux zéro en portant la cible des fed-funds dans la fourchette 0,25% – 0,50%, soit une cible moyenne de 0,375%. D’après les fameux dot-charts, la cible des fed-funds serait de 0,875% à la fin de l’année 2016 et 1,875% en 2017, soit une hausse respectivement de 50 point de base (pb) et 150 pb par rapport à leur niveau actuel. Jusqu’à une date récente, les marchés, c’est-à-dire les anticipations véhiculées par les contrats de taux à terme, ne validaient pas cette projection.
Autrement dit, les marchés ne croyaient pas la Fed ; ils pensaient que la Fed ne ferait pas évoluer le taux de référence sur les prochains trimestres. Il faut dire que le passé ne plaide pas en faveur de la Réserve Fédérale. Ces deux dernières années, la Fed n’a cessé de se tromper sur ses prévisions. Elle a constamment surestimé le niveau des fed-funds en 2014 et en 2015. Quand le chiffre très décevant de la croissance du premier trimestre 2016 (+0,5%) a été publié, les opérateurs ont pensé qu’une fois encore, les conditions économiques empêcheraient la Réserve Fédérale d’augmenter ses taux.

Entre temps, le vent a tourné. 

Les indicateurs ont redressé la tête. Selon les estimations de la Fed d’Atlanta, la croissance du PIB au deuxième trimestre 2016 serait proche de 3,0%. L’inflation reste mesurée (entre 1,5% et 2,1% suivant les indices), mais montre quelques signes d’accélération. La Fed elle-même a rectifié son discours,se montrant plus affirmative sur l’éventualité d’une prochaine hausse des taux. Corollaire prévisible, les investisseurs et les analystes ont revu leur copie. La probabilité d’une hausse des taux de la Fed le 15 juin, proche de zéro il y a un mois est remontée à 28%.

Ce revirement sur les anticipations de hausse des taux de la Fed a eu un impact marqué sur les marchés, notamment le marché des changes. Le dollar s’est apprécié face à l’ensemble des devises. La parité euro/dollar qui avait atteint un point haut à 1,16 est désormais retombée à 1,12.  Quant aux marchés de taux américains, ils ont peu fluctué : le 2-5 ans est légèrement remonté et le T-bond 10 ans est resté pratiquement inchangé à 1,8% de rendement. Les bourses mondiales ont plutôt bien réagi. Après avoir hésité, les indices européens ont gagné 4% sur la semaine ; l’aspect « amélioration de l’économie américaine » ayant pris le pas sur le côté « resserrement de la politique monétaire ».

Il y a donc de fortes chances pour que la FED augmente ses taux le 15 juin ou le 27 juillet.

Si l’on regarde un peu plus loin, la trajectoire de la politique monétaire épousera celle de la croissance et de l’inflation américaine.

Pour simplifier, trois scenarii retiennent aujourd’hui l’attention des analystes.

Le premier est celui de la stagnation séculaire, porté par Larry Summers, l’ancien secrétaire d’état au Trésor du Président Bill Clinton. Dans ce scénario, que nous avons souvent évoqué, la croissance est contrainte par le vieillissement de la population, les faibles opportunités d’investissement, etc. Dans ce cadre, la déflation et non l’inflation reste le principal souci. Le potentiel de hausse des taux de la Fed reste très limité, voire nul.

Le scénario médian, qui est celui de la Fed, avec un retour progressif de l’inflation vers la cible de 2,0%, avec une croissance légèrement supérieure à 2,0%. Dans ce cas, le potentiel de hausse des taux est celui des « dot-charts », précédemment évoqué, soit 150 pb à l’horizon 2017.

Certains économistes commencent à évoquer une accélération de l’inflation américaine plus forte que celle prévue par la Fed, notamment à cause de l’effet de base mécanique lié à la remontée des prix du pétrole et des tensions salariales qui se manifestent à l’approche du plein emploi. Les économistes de  Oddo Securities sont ainsi sensibles à cette thématique.
Nous remarquons que les anticipations du marché sont plutôt en ligne avec le scénario de stagnation séculaire. Elles l’étaient davantage il y a un mois qu’aujourd’hui mais il nous semble que l’état des marchés reflète encore un certain scepticisme sur la capacité de la Fed à remonter ses taux. Le scénario « inflationniste » n’est absolument pas dans les cours. Comme notre scénario central est plutôt proche de celui de la Fed, nous avons renforcé récemment notre exposition au dollar dans nos portefeuilles, un peu tôt puisque nous l’avons fait au mois d’avril.

Si la trajectoire effective de a politique monétaire dans les prochains mois est celle que projetette la FED dans ses « Dot-charts », il n’y a pas trop d’inquiétude à avoir.

Le retour vers l’orthodoxie monétaire est signe de bonne santé économique et peut avoir des effets positif sur le secteur financier dans son ensemble. Il en serait autrement si la Fed devait monter ses taux plus vite et plus fort que prévu. Bien sûr, la volatilité qui affecterait les marchés de taux ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur les autres classes d’actifs. Mais à notre avis, le principal danger ne se situe pas là mais sur le marché des changes. En effet, une forte hausse des taux de la Fed ne manquerait pas de déboucher sur une appréciation marquée du dollar, notamment face au yuan. On se souvient que le décrochage de 6% du yuan face au dollar,  l’été dernier, avait provoqué un certain chaos sur les marchés. Les autorités chinoises ont appris la leçon et se sont efforcées de limiter les girations de leur devise. Ainsi dans la période récente, la devise chinoise a cédé moins de 1,5% face au dollar. Cela serait sans doute beaucoup plus compliqué pour les Chinois de maintenir la parité dollar/yuan si les taux américains devaient monter fortement. A notre avis, le risque d’un décrochage intempestif de la parité dollar/yuan constitue un des risques majeurs pour la stabilité de la sphère financière mondiale. 

Nous n’en sommes pas la heureusement.

D’une part, le risque d’une forte hausse des taux de la Fed reste aujourd’hui encore limité. D’autre part, les autorités monétaires chinoises et américaines, sont bien conscientes des enjeux que représente la parité dollar yuan.
La Fed de Janet Yellen, et c’est une nouveauté, prend explicitement en compte les conséquences de ses décisions sur la stabilité financière mondiale. Si jamais une hausse des taux de la Fed devait déstabiliser le yuan, nul doute que les Chinois le signaleraient à la Fed et que celle-ci réagirait en conséquence.

N’oublions pas qu’à la tête de la Réserve Fédérale se trouve une équipe de sensibilité fortement keynésienne pour qui le risque principal n’est pas l’excès d’inflation mais l’insuffisance de croissance et les risques déflationnistes qu’accompagnent l’instabilité financière mondiale. C’est pourquoi la Fed n’avait pas monté ses taux à l’automne dernier, alors que les marchés étaient dans la tourmente. C’est pourquoi il est probable qu’elle augmente ses taux en juin ou juillet de cette année. 

Cet article a été rédigé par des experts Oddo & Cie
Rédigé le 27 mai 2016

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