Les députés ont adopté jeudi dernier la loi dite Sapin 2 en nouvelle lecture.
Le texte devrait être examiné par le Sénat début novembre et pourrait être voté définitivement d’ici la fin de l’année, l’Assemblée nationale ayant le dernier mot.
L’article 21 bis de cette loi vise à élargir et agrandir les pouvoirs du HCSF (Haut Conseil à la Stabilité Financière) en matière d’assurance-vie, en lui conférant notamment le pouvoir de :
– Prendre, afin de préserver la stabilité du système financier ou de prévenir les risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’une partie significative du secteur, des mesures conservatoires telles que : « Limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ; Suspendre ou restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs ; Suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat ».
– Moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices pour l’ensemble ou un sous-ensemble des compagnies d’assurance.
Cet article suscite de nombreux débats et la crainte pour les souscripteurs de ne plus pouvoir agir sur leur épargne.
LES CRAINTES SONT ELLES JUSTIFIEES ? QUELS CHANGEMENTS APPORTE REELLEMENT CETTE LOI *?
1. Les pouvoirs de blocage des rachats ne sont pas nouveaux
Aujourd’hui, le pouvoir de «Suspendre ou limiter le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrage, le versement d’avances sur contrat…» est donné par l’article L612-33 du code monétaire et financier à L’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution).
La nouveauté est de donner ces pouvoirs au HCSF, sans supprimer ceux de l’ACPR.
Le HCSF est l’autorité macro prudentielle française : Il est chargé de surveiller le système financier dans son ensemble, afin de prévenir un risque systémique, c’est-à-dire un dysfonctionnement du système financier dans son ensemble (ou dans une large partie) qui aurait des conséquences désastreuses pour l’économie, privée de financement.
Or, la majorité des 5 membres de droit qui composent le HCSF, aux côtés de 3 autres personnes spécifiquement nommées, sont des membres qui siègent à l’ACPR (parmi lesquels le gouverneur de la Banque de France, président de l’ACPR).
Hormis donc la présence du ministre des finances, le HCSF est en quelque sorte une émanation de l’ACPR qui détient d’ores et déjà ces pouvoirs.
2. La portée des mesures à un « ensemble ou un sous-ensemble d’assureurs» décrite dans la loi Sapin semble nouvelle mais rien n’interdit dans les textes actuels à l’ACPR de faire porter ces mesures sur plusieurs assureurs.
3. Du point de vue des conditions d’intervention, la loi Sapin est plus restrictive et requiert des risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous ensemble d’assureurs ou pour la stabilité du système financier.
Autrement dit, lorsqu’un risque systémique se présentera, alors que l’ACPR peut intervenir dès qu’un assureur est susceptible d’être en difficulté ou de mettre en danger les intérêts des souscripteurs, assurés et bénéficiaires.
4. La durée des mesures a été réduite de 6 mois à 3 mois, renouvelables dans le cadre de la loi Sapin. Alors que la loi actuelle ne fait pas mention de durée.
5. La principale nouveauté est la possibilité pour le HCSF d’intervenir sur les rémunérations.
Le HCSF pourrait agir sur le calcul de la participation aux bénéfices distribuée aux porteurs du fonds euros, en modulant les dotations et les prélèvements effectués par les assureurs sur leurs provisions pour participation aux bénéfices.
A ce stade, aucun critère objectif ou quantitatif n’a été déterminé. Difficile donc d’anticiper sa portée.
Cette mesure s’inscrit dans les appels successifs lancés par le gouvernement aux assureurs sur la nécessité de corréler davantage les taux de rendement des fonds en euros et les taux d’intérêts. Si cette mesure était appliquée, ce serait certainement en vue de limiter les rendements de certains assureurs jugés trop « généreux » ?
Hormis l’intervention sur les rémunérations, les mesures décrites dans l’article 21 bis de la loi Sapin 2 ne sont pas nouvelles.
Elles ont pour but d’éviter qu’un assureur ne devienne défaillant.
Leur retentissement actuel est probablement dû au contexte de taux bas et à la crainte d’une remontée des taux.
Or, si cette dernière est probable, elle ne serait pas obligatoirement brutale et les assureurs disposant d’importantes réserves pourraient faire face aux rachats.
Car n’oublions pas qu’une remontée des taux serait bénéfique aux rendements de nos contrats (investis en euros). L’assurance vie demeurant en France une enveloppe fiscale hors pair, il n’est pas certain qu’une remontée des taux soit suivie de rachats massifs.
* Dans l’hypothèse où elle serait promulguée en l’état.
Ségolène Roques
Ingénieur Patrimonial