Les enjeux du Brexit par Oddo Banque Privée

Le 23 juin, les Britanniques voteront pour ou contre le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (U.E.). L’incertitude règne…

La première incertitude concerne le résultat même du référendum.

Dans les sondages, le « Leave » (la sortie du Royaume-Uni de l’U.E.) et le « Remain » (le maintien du Royaume-Uni dans l’U.E.) sont au coude à coude. Les bookmakers donnent toutefois une avance substantielle au camp du maintien avec une cote de 2/7 alors que la cote du Brexit est de 11/4 (plus la cote d’un pari est importante, plus la probabilité de voir ce pari se matérialiser est faible). Compte tenu des marges d’erreur liées à ce genre d’exercice, il est hasardeux de faire un pronostic tranché sur le vainqueur du référendum. Au moment où nous écrivons, le « Remain » est l’hypothèse la plus probable, mais cela peut changer d’ici le 23 juin.

La deuxième incertitude est d’ordre économique. Quelles seraient les conséquences du « Brexit » ?

« Négatives, voire très négatives », répondent en chœur l’immense majorité des experts et des institutions, du FMI à l’OCDE, en passant par le Trésor britannique et la London School of Economics. Mais comme le fait remarquer l’éditorialiste des Echos, Jean-Marc Vittori, tout cela n’a pas grand sens. Le Brexit n’est pas un évènement calculable. Il n’existe pas de précédent de ce genre sur lequel on pourrait étalonner des calculs fiables. Et puis, les répercussions d’un Brexit seront multiples. Elles concerneraient l’économie britannique mais aussi ses partenaires européens, sans compter les réactions en chaine que la sortie du Royaume-Uni de l’U.E. déclencherait sur les marchés financiers.

Surtout, « ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au XXème siècle », disait Raymond Aron, et ne comprennent rien non plus au XXIème siècle sommes-nous tentés d’ajouter. En effet, le Brexit ne peut se résumer à quelques points de PIB en plus ou en moins, mais relève de questions politiques bien plus profondes. Le Brexit nous renvoie, entre autres, à l’interrogation suivante : qu’est-ce que l’Union européenne ? Une vaste zone de libre-échange ? Un projet politique ? Un destin commun ? L’Euroscepticisme s’infiltre dans les brèches béantes qu’ouvre notre incapacité à répondre à ces questions.

La sortie du Royaume-Uni de l’U.E. écrira un nouveau chapitre de l’histoire européenne, dont on a du mal à imaginer la trame. Compte tenu des forces centrifuges qui sont actuellement à l’œuvre dans l’Union, il y a de fortes chances que le Brexit ouvre la voie à de nouvelles revendications nationales, voire à une Europe purement à la carte, qui sonnerait le glas du projet européen tel qu’il a été conçu jusqu’ici.

Après avoir célébré le centenaire de la bataille de Verdun, nous commémorerons en 2020 et 2021 le centenaire des Traités de Saint-Germain et de Sèvres qui consacrèrent le démembrement de l’empire Austro-Hongrois.

Cette dyarchie baroque n’est pas sans rappeler la construction européenne actuelle. L’Autriche-Hongrie était une collection de peuples, de nationalités, de langues (allemand, hongrois, serbo-croate, slovène, tchèque, slovaque, roumain, ukrainien, polonais, italien, yiddish), de religions (catholiques romains, uniates, orthodoxes, protestants, juifs, musulmans), réunis sous la houlette bienveillante de l’empereur François-Joseph Ier. L’Autriche-Hongrie était une double monarchie (plus exactement un Empire et un Royaume, Kaiserlich und Königlich), sans état central fort, ni projet politique bien affirmé, si ce n’est de faire vivre ensemble le mieux possible toutes ces nationalités, ce qui fut d’ailleurs le cas.

Après cinquante années de paix et de prospérité, l’Autriche-Hongrie fut balayée par la tourmente de la Première Guerre mondiale. Sur les vestiges de l’empire débonnaire naquirent toute une série de pays indépendants, hissant bien haut leur pavillon national. La liberté retrouvée ! Toutefois, la suite des évènements montra que ces pays ne parvinrent pas à combler le vide laissé par la disparition de l’empire Austro-Hongrois ; ils furent rapidement broyés par les totalitarismes nazi et soviétique. L’histoire ne se répète pas (ou alors comme une farce disait Karl Marx) et le Royaume-Uni de 2016 n’est pas la Tchécoslovaquie de 1938. Néanmoins, si la passion est du côté des Eurosceptiques, Britanniques ou Continentaux, la raison nous recommande de méditer sur le destin tragique de l’Europe après l’éclatement de l’Autriche-Hongrie.

Devant tant d’incertitudes, une chose est sûre : le Brexit, s’il se produit, générera de la volatilité sur les marchés.

C’est déjà le cas, puisque la livre Sterling s’enfonce chaque fois que le camp du « Leave » progresse dans les sondages. Si le Royaume-Uni sort de l’U.E., certains gérants prévoient une baisse de 20% du sterling face au dollar. Il est probable que le sterling entrainera l’euro dans sa chute. C’est pourquoi un des moyens de se prémunir contre le Brexit est d’acheter du dollar ou du franc suisse.

Il est également évident que le Brexit ne manquera pas d’affecter les bourses britanniques et européennes. La montée des incertitudes se traduira par une hausse de la prime de risque et donc la baisse des prix. Selon le Financial Times, les secteurs de la Bourse de Londres les plus touchés par cet évènement seraient les valeurs financières, l’immobilier commercial et la distribution. Cela se comprend aisément : la City n’a rien à gagner du Brexit et serait obligée de réduire la voilure. L’immobilier, notamment londonien, serait affecté par ricochet. Enfin, les valeurs de distribution, dont l’activité est essentiellement domestique, subiraient les contrecoups des perturbations économiques touchant le Royaume-Uni. Il est difficile de tracer une telle typologie sectorielle pour les bourses du Vieux Continent. Mais il est inutile de se payer de mots : si ça secoue de l’autre côté de la Manche, nous ne serons pas épargnés de ce côté-ci. Les valeurs ayant une forte exposition au Royaume-Uni seront évidemment en première ligne.

En tant que gérants, nous postulons que la rationalité finira par triompher.

C’est pourquoi notre hypothèse de base est que le Brexit n’aura pas lieu. Toutefois, comme nous l’avons dit, il ne faut pas sous-estimer le côté passionnel du comportement humain. C’est pourquoi un gérant avisé détiendra une portion significative de ses avoirs en dollar. Il profitera ainsi de la dynamique actuelle du billet vert et réduira l’exposition de son portefeuille au risque du Brexit.


Rédigé le 3 juin 2016, en partenariat avec les experts de Oddo Banque privée

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